Voyage au bout de la nuit: review


Dans le registre des auteurs pas interdits mais presque en français, il existe une figure emblématique : Céline. Médecin (c’est pas ça le truc douteux) qui a voyagé autour du monde (ça non plus c’est pas douteux), Céline a écrit plusieurs livres avant, pendant et après être devenu collabo nazi (c’est ça le truc douteux)(au cas où).
Ça faisait longtemps que je lorgnais sur son “Voyage au bout de la nuit” pour des raisons obscures, mais pas liées au fait qu’il ait gagné au moins un prix littéraire. Personne ne m’avait recommandé ce livre donc je ne savais pas vraiment où je mettais les pieds. Je pensais juste lire un roman sur la France d’avant, avec quelques préchauffages antisémites, puisque c’était le premier roman de l’auteur.

Et quelle découverte. C’est un bouquin phénoménal. Tout y est : le style, l’histoire, les personnages, les leçons de vie semi-philosophiques et une vision de la vie complètement dérangée.

Dans un style parlé, parsemé d’argot et de jargon populaire, il ne faut pas trois pages pour être happé dans l’ambiance du livre. On est dans la tête du narrateur qui parle sans filtre, sans peur d’être jugé, avec une sincérité si brutale. On entre dans les tréfonds de la pensée de ce lâche qui est, au fond, un homme produit de son époque et de son milieu, face à la guerre et l’horreur au début, puis d’autres thèmes un peu moins graves plus tard, mais quand même.
L’humour noir du livre est remarquable et jusqu’à la fin, dans les situations les plus dramatiques et horribles, un soupçon de “fun” et d’ironie pointe son nez au milieu de la misère. C’est macabre et délicieux.

Ce livre n’est pas une invitation au voyage, bien que ç’en soit un. De chapitre en chapitre, Ferdinand Bardamu traverse une série d’épopées qui oscillent entre le bien réel, le romancé, le fantasmé et le franchement fantastique ; qu’il est difficile d’évoquer sans spoiler. À plusieurs reprises, j’ai dû faire des recherches pour savoir si les villes décrites existaient bel et bien, par exemple.
Le narrateur retranscrit ce qu’il y a de pire chez les hommes et les femmes de son époque, lui y compris, avec toute la noirceur et les bassesses inimaginables. On est happé par les événements, chamboulés par les décisions (horribles) des personnages et terrifiés par les conditions de vie de l’époque.
Bizarrement par contre, pas tellement d’antisémitisme, mais plutôt énormément de racisme de la vie de tous les jours (de l’époque).

La galerie de personnages que rencontre Bardamu est faite de pourris, de profiteurs, d’abuseurs en tout genre, à part un. C’est à la personne ayant inspiré ce personnage que le livre est dédié. Quel honneur? Il n’y a vraiment personne pour rattraper l’autre et tout le monde a des vices ou des travers. Le narrateur ne peut avoir confiance en personne, et le stress qui en découle conditionne toutes les relations. La méfiance de l’autre est omniprésente et accablante.

Parmi les éclairs de génie de ce livre, il y a les leçons de vie que l’on retrouve de chapitre en chapitre où le narrateur (et l’auteur?) généralise de manière poétique et sombre ce qui lui arrive, ou va lui arriver. C’est déprimant à souhait mais tellement bien écrit.

Bref, c’est un livre remarquable que je recommande à toute personne ayant un slip bien accroché.

La version que je me suis procurée s’accompagne d’un livret d’aide à la lecture et de fiches pour préparer le bac. Donc, il y a des adultes dans ce monde qui veulent que des ados lisent ce livre. Ce n’est absolument pas une bonne idée. Ce livre n’est pas fait pour des lycéens. Mis entre de trop jeunes mains , ça serait une machine à fabriquer des incels.
C’est un livre qui se savoure adulte, un peu à la manière du Père Goriot de Balzac qui m’avait dégoûté en fin d’adolescence, mais enchanté dans la trentaine.

Fab
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